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La France sans botte, l’Afrique réalité un jour ?

Rédigé par : Gapola

Komi Abalo

Depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour, la France reste l’une des anciennes métropoles à maintenir des relations idylliques avec ses ex-colonies que sont les pays d’Afrique francophone. Et en dépit des protestations par endroit pour dénoncer cette présence, qualifiée quelques fois d’ingérence, les lignes ne semblent pas trop bouger. Mais aujourd’hui, la question reste de savoir, si la France accepterait un jour d’être remerciée en Afrique ? Si oui, à quel prix ? Dans cet article intitulé « La France sans botte, l’Afrique réalité un jour ? », Komi Abalo, doctorant en cotutelle entre la France et le Canada, apporte des éléments de réponses.

 

Entre le XVIe siècle et la fin du XIXe siècle se constitue progressivement une économie mondiale hiérarchisée où les différentes parties de la planète sont mises en relation de manière brutale par la vague d’expansion de l’Europe occidentale. Ce processus a non seulement impliqué le pillage des peuples par les puissances coloniales d’Europe, mais aussi a détruit progressivement des civilisations africaines pourtant avancées qui auraient pu suivre leur propre évolution dans un cadre pluriel sans nécessairement passer par le capitalisme. Il faut attendre 1960 pour que la majorité des pays africains devienne souverain. D’autres pays ne sortirent de l’ère coloniale que plus tard. Les indépendances des années 1960 ouvrent toutes les possibilités. C’est une année de promesse, d’une nouvelle ère et d’optimisme pour les nationalistes. Elle est aussi une année de tensions, d’ambiguïtés et de complexités. Après les indépendances, malgré l’aspect caricatural qui en a été donné, il faut reconnaître qu’il n’était pas facile pour les nouveaux chefs d’État, qui n’étaient pas unanimes sur l’évolution politique, de définir des recommandations communes sur la politique indigène.

 

L’attachement indéfectible de la France à ses ex-colonies montre à quel point elle est prête à préserver cette collaboration au risque de passer le portefeuille à une autre puissance occidentale. Sur ce, est-ce que la France accepterait un jour d’être remerciée en Afrique et à quel prix ?

 

La France en Afrique, un monarque en territoire conquis

 

Nous ne devons pas revenir à la situation d’avant-guerre car l’Afrique a perdu trop de temps et trop d’effort, trop de vies ont été sacrifiées afin de retrouver l’équilibre. Cet équilibre est pratiquement là maintenant avec la nouvelle génération consciente des réalités. Il faut qu’à un moment de l’histoire, nous déconstruisions nos perceptions des faits sur la situation liée au néocolonialisme afin de se faire une idée sur les nouveaux défis dans les 60 prochaines années. On a toujours cru à un lexique de vérité présentée par différents auteurs sur cette relation liant l’Afrique à ses anciens maîtres. Si nous tenons compte du fait que la monnaie demeure un facteur indéniable au développement, fort est de constater que la dépendance monétaire britannique a entièrement disparu.

 

Le système des visas pour accéder aux pays Occidentaux, la difficulté pour les obtenir ont contribué au développement de réseau migratoire clandestin en Algérie, au Maroc, et ces dernières années en Lybie, une porte de sortie que l’Occident s’est faite lui-même en mettant Kadhafi hors du jeu. Avec le revers de la médaille, détenir un passeport d’un pays occidental vous donne tout le privilège d’un Sultan en Afrique.

 

Aujourd’hui, le cas du Mali et de la République Centrafricaine doivent nous interpeller et nous faire comprendre à quel point, les pays africains sous domination française éprouvent de difficulté à s’autogouverner. Depuis l’Élysée, on a le sentiment que cette partie de l’Afrique est devenue la Colombie du temps de Pablo Escobar. Bien que certains africains aient réalisé des progrès en matière de réduction de la pauvreté, sommes-nous toujours acteurs de nos propres développements ? Un peu comme un vaccin de la Covid-19, les pays Africains ont assez essayé la France sans trop de résultats probants. On a l’impression qu’en 2050, l’histoire des européens et celle des américains devraient totalement finir et l’Afrique a trouvé la Chine comme partenaire économique et la Russie comme partenaire militaire. Nous sommes dans une dynamique de démocratie où le désaccord ne constitue pas un crime.  Face à cette incohérence, la plupart des pays de l’Afrique subsaharienne sont devenus des laboratoires de recherche comme l’instituteur et ses élèves dans une salle de classe où les élèves sont tenus de rendre des rapports semestriels et répondre présent à l’appel du Maître. C’est en croire que le système français a pu déchoir de leur respect tant vanté de la démocratie. Les anciennes puissances coloniales ont perdu de leur influence, tout en demeurant présentes et en exerçant parfois des fonctions régaliennes (c’est le cas de la France pour la monnaie et l’armée). Il y a également dilution de leur influence au sein de l’UE [1].

 

Quand on est sur le point de se noyer, on s’accroche parfois à la queue de crocodile, telle se présente la relation France-Afrique depuis des décennies qui n’a pas engendré un vrai développement. Il n’y a pas de contentieux aujourd’hui que les africains fassent affaire avec les Russes ou les Chinois. Lors du Sommet Sotchi[2] en 2019, le discours de Vladimir Poutine était clair : il y a un très bon potentiel de développement en Afrique et cela nous permettra d’un accroissement du commerce dans 4 ou 5 ans, nous pouvons doubler nos échanges commerciaux. Il ne vient pas pour une question d’aide humanitaire comme ses confrères de l’OTAN mais dans un esprit de tranquillité et de partenariat gagnant-gagnant. La question est de savoir pourquoi la France s’accroche si autant au moment où les autres veulent s’en débarrasser ? Parfois on n’est pas obligé de secouer le cocotier, le vent de la démocratie et la liberté des peuples à choisir leur mode de gouvernance triomphera toujours. Même si la croissance économique peut être considérée comme satisfaisante dans divers pays, un certain nombre de jeunes Africains ne sont plus très optimistes sur l’avenir du continent en analysant les facteurs internes et externes de la politique des chefs d’État.

 

Le marché des pays africains fait face à une consommation accrue des produits importés et donc incapable de produire localement. Hors de ce contexte, le marché n’est réservé qu’aux élites qui ont de bons revenus pouvant leur permettre de vivre confortablement, contrairement au peuple car le franc CFA est une monnaie des élites[3] pour reprendre les expressions de Kako Nubukpo[4]. La monnaie n’est pas responsable de détournement de fonds publics, de la surfacturation des marchés publics mais du degré de l’implication des élus locaux face à l’intérêt national. L’Eco peut faire des miracles et plus encore que le franc CFA si cette nouvelle politique monétaire fait l’unanimité des Africains face à l’intérêt de Paris, afin d’éviter de déshabiller Jean pour habiller Paul. La question de la convergence économique mérite d’être bien clarifiée par nos confrères économistes.

 

À qui profite réellement l’immigration ?

 

Il existe certaines réalités dont chacun devrait avoir pleinement conscience, afin de se faire un avis éclairé. L’immigration est une chance et surtout une porte de sortie quand on a perdu tout espoir de vie. La situation instable de certains pays comme ceux de la zone franc en particulier est l’un des facteurs cruciaux qui poussent la jeunesse vers la recherche du bien-être et de l’Eldorado. Les raisons de ce mouvement sont aussi multiples que diverses (économiques, politiques, climatiques, réfugiés de guerre…). La migration n’est pas seulement une question de mouvement entre pays du Nord et du Sud. L’essentiel des mouvements migratoires se fait entre les pays du Sud mais cela ne dérange personne parce que c’est la voie légale. La Banque mondiale estime que si la main-d’œuvre des pays à hauts revenus devait s’accroître de 3 %, et même si cette force de travail n’était composée que d’immigrants, le bénéfice annuel mondial serait de l’ordre de 356 milliards de dollars. Aujourd’hui les débats en France tournent autour de qui est plus français que l’autre et ce sont les mêmes qui sont immigrationnistes qui dénoncent les autres. À un moment de l’histoire on est tous immigrés à des degrés différents.

 

Pourquoi l’immigration devient critique en Europe ces dernières années, pourtant elle était encouragée il y a des années pour diverses raisons : besoin de mains d’œuvre et surtout le vieillissement de la population dans certains pays occidentaux, le cas de l’Allemagne et du Canada par exemple. Quand on assiste à un vieillissement de la population, l’économie est touchée et on aura à terme un manque de main d’œuvre valide sur le marché. Les pays comme les États-Unis, le Canada ne peuvent pas prétendre se construire sans l’aide ou l’apport des étrangers ; la France non plus. Beaucoup de pays africains en retour se sont également développés grâce aux savoir-faire de ses étrangers français, américains, chinois et surtout aux différents fonds que ces immigrés envoient dans leurs pays d’origine.

 

Selon un rapport de la Banque mondial, en 2019 les transferts de la diaspora représentent 85, 2 milliards de dollars soit environ 12,20 % des transferts mondiaux effectués par les migrants. À la suite du phénomène de chômage des jeunes, même les plus diplômés sont obligés de faire carrière dans des emplois non qualifiés ; alors, le phénomène de concurrence se pose entre les citoyens et les immigrés, d’où les tensions dans les pays comme la France.

 

En clair, les pays n’accueillent des migrants que pour des métiers dont ils ont besoin de main d’œuvre, comme le stipule bien la politique d’immigration canadienne par exemple. Par ailleurs, les intellectuels formés dans les universités africaines partent aussi du fait de leur manque d’emploi adapté dans leur pays d’origine. Quand vous étudiez en Occident et que vous avez un bon dossier académique, la question de la naturalisation n’est qu’une formalité ce qui veut dire que les pays comme la France sont conscients du fait de la nécessité des immigrés sur le marché de l’emploi mais à des degrés différents. Ce moyen de procéder est la source première de l’hémorragie interne à long terme des pays africains par la fuite des intellectuels capables de prendre la relève. Selon le professeur Didier Raoul[5], 50 % des thésards en France sont des étrangers.

 

L’instabilité politique, socioéconomique, voire religieuse de plusieurs pays africains favorise les volontés migratoires et conduit parfois à la règle des quatre[6], tandis que l’évolution des différentes guerres intestines échappe aux idéaux mondiaux à cause des intérêts politiques et économiques.  Aucun homme ne quitte son pays par plaisir d’immigrer quand il se sent à l’aise chez lui. Ils risquent tout pour ce voyage, certains y laisseront leur vie, d’autres seront renvoyés chez eux et d’autres encore, qui atteindront la rive savent que leur intégration n’y sera pas facile. Les difficultés qu’ils rencontrent dans leur pays poussent des milliers de ces jeunes à préférer l’exode, même clandestin au péril de leur vie.

 

Komi ABALO, doctorant en cotutelle entre la France et le Canada



[1] HUGON Philippe, Afriques : Entre puissance et vulnérabilité, 2016, P. 147.

[2] Ce sommet intervient pour renforcer la position de Kremlin dans cette partie du Monde. L’objectif de cette première rencontre dans l’histoire Russie-Afrique a eu lieu du 23 au 24 octobre 2019.

[3] L’euro étant une devise forte, les pays de la zone franc souffrent de leur monnaie surévaluée et cela touche plus la classe moyenne que les élites.

[4] Kako Nubukpo est économiste, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) et membre du conseil scientifique de l’Agence française de développement (AFD). Il a été ministre chargé de la prospective et de l’Évaluation des politiques publiques au Togo de 2013 à 2015.

[5] Didier Raoul est un microbiologiste français spécialiste des maladies infectieuses, professeurs des universités et praticien des centres hospitaliers.

[6]C’est une règle qui consiste à finir entre quatre murs : la prison soit entre quatre planches dans un cercueil.

 

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