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Le contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les producteurs privés : Une contribution à l’appropriation du cadre de consommation de l’eau

Rédigé par : Gapola

Nakodjoua KOLANI


Par le Doctorant en Droit Privé Nakodjoua KOLANI

Résumé en français

Au commencement la problématique de l’eau se posait en termes de disponibilité de la ressource et de difficultés d’accès. Ce n’est qu’avec l’apparition de l’offre et de la demande en eau que l’on parle aujourd’hui d’un marché. Cependant, le marché de l’eau doit-il être soumis à la loi de la concurrence à l’instar d’autres biens économiques ou bien au contraire il urge qu’aux fins de garantir la sécurisation de la qualité de l’eau que les acteurs impliqués se mobilisent aux côtés des pouvoirs publics. C’est ce qui justifie le nouvel arrêté du ministre togolais de l’eau et de l’hydraulique villageoise paru dans la rédaction @gapola le premier décembre 2020, qui se veut être qu’un catalyseur. Ainsi, en dépend naturellement l’évaluation des politiques publiques à l’instar de l’OCDE.

Mots-clés en français : eau potable, problématique de l’eau, droit à l’eau, disponibilité de l’eau, ressources en eau, difficultés d’accès, marché de l’eau, l’offre, la demande, concurrence, biens économiques, sécurisation de l’eau, pouvoirs publics, appropriation des acteurs, service public.

Summary

In the beginning the problem of water arose in terms of availability of the resource and difficulties of access.  It is only with the emergence of water supply and demand that we speak of a market today.  However, should the water market be subject to the law of competition like other economic goods or, on the contrary, it is urgent that in order to guarantee the security of the water quality that  the actors involved are mobilizing alongside the public authorities.  This is what justifies the new decree of the Togolese Minister of Water and Village Hydraulics published in the @gapoli editorial staff on December 1, 2020, which is intended to be a catalyst.  Thus, the evaluation of public policies like the OECD naturally depends on it.

English key words: drinking water, problem of water, right to water, availability of the resource, water resources, difficulties of access, water market, supply, demand, competition, economic goods, security of the water, public authorities, actors involved, public utility.

 

Le Professeur Jean-Louis GAZZANIGA l’affirmait déjà que le droit de l’eau ne laisse pas d’être embarrassant ; le mieux que l’on ait pu faire, parce que l’on ne parvenait pas à se dégager des notions traditionnelles, fut de répondre à la question pourtant difficile : à qui appartient l’eau ? La poser est déjà prendre position, même si l’on admet qu’elle n’appartient à personne ; tout le problème est là. Et des différentes réponses proposées s’est forgé ce que l’on a convenu d’appeler, dans l’incertitude où l’on est de parler de droit de l’eau, le régime juridique des eaux. Le législateur togolais à l’article 5 du code de l’eau du 14 juin 2010 stipule : « L’eau fait partie du domaine public », sans pour autant définir à qui elle appartient. De ces difficultés, de ces contradictions, l’évolution historique peut donner la mesure. Cependant, mettre en œuvre le contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les producteurs privés à travers la compétence résiduelle reconnue à l’Etat par le traité UEMOA notamment la réglementation des pratiques restrictives et du droit pénal, nous amène à nous interroger sur les problématiques de fiabilisation de l’acte de consommation qui permet au consommateur d’obtenir de l’eau en vue de satisfaire son besoin personnel ou familial. Ainsi, l’Etat est tenu à une obligation de contrôle aux fins de bannir les produits défectueux ou dangereux, de maintenir les prix à un niveau raisonnable, d’assurer l’équilibre des prestations contractuelles, de prohiber la publicité trompeuse et les méthodes commerciales agressives à l’endroit des parties, en sa qualité de tiers garant de l’intégrité qualitative et quantitative de l’eau comme un bien faisant partie du domaine public, qui restaure l’ordre public consumériste, en ce sens qu’il prend en considération le phénomène de masse et non le contrat isolé et protège les intérêts collectifs des consommateurs.

Selon le Professeur Clarissa FERREIRA MACEDO D’ISEP, bien que le « droit à l’eau » soit réduit à l’idée de « gestion des eaux », on ne peut pas accepter que son aspect matériel en soi soit déconsidéré parce que, en tant que source de vie, l’élément eau interagit avec le droit humain fondamental, le droit à la vie. Cela fait de l’eau une ressource « catalyseur de droits ». Dans la garantie de l’accès à l’eau on trouve, parmi d’autres, la proclamation du droit à la vie et du droit au développement. Ces sujets seront mis en évidence dans l’approche du thème « Le contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les producteurs privés : Une contribution à l’appropriation du cadre de consommation de l’eau », prémisse majeure, qui doit conduire à sa réglementation. Et vu qu’une doctrine ne se distribue pas toute seule, cette intervention étatique devient ainsi le rempart contre les malhonnêtetés du professionnel c’est-à-dire les producteurs privés d’eau, qui est contrainte à préciser et affirmer l’ambition d’intégration de la biodiversité dans l’ensemble du processus, depuis le captage jusqu’à la production, mais également les réalités géographico-hydrauliques diverses liées à la commercialisation de l’eau, et sa déclinaison dans les stratégies de protection du consommateur.

La prestation publique ou privée du service public de distribution d’eau potable

Mais au fond, nous savons que le service public de distribution d’eau potable est confié à un gestionnaire monopoliste, et conformément aux statistiques adoptées comme objectifs quantifiés pour l’eau par le Ministère en charge de l’eau et de l’hydraulique villageoise, l’on retiendra entre autres défis à relever, c’est de parvenir à l’horizon 2025, à un accès à l’eau potable de 95 % en milieu rural, 85 % en milieu semi-urbain et 75 % en zone urbaine contre des taux actuels respectifs de 65 %, 48 % et 55 %. Cette décision nécessite la prise en compte de nombreux efforts déjà enclenchés et l’armada de politiques publiques stimulées. En raison de l’insuffisance du taux de couverture en desserte en eau potable dans nos Etats en développement, l’on est appelé à s’interroger sur l’effectivité d’exercice du monopole reconnu au gestionnaire et ce qu’il convient d’appeler « le droit à l’eau pour tous »  tel qu’il est proclamé par la plupart des instruments juridiques nationaux qu’internationaux. Comme l’expliquait l’illustre professeur de droit constitutionnel français Guy Carcassonne, depuis 2005 et sans relâche la reconnaissance d’un droit à l’eau, question cruciale et idéologiquement sensible est débattue par (Re) sources, un think tank né d’un colloque fondateur en 2004 sur le thème « Droit à l’eau et à l’énergie : de la vision à l’action ». Il dit « ce droit ne vaudra que si précisément il existe un débiteur de ce droit, tout l’enjeu est de savoir qui »… Par la suite, les Nations unies ont déclaré en juillet 2010 que « le droit à une eau potable propre et de qualité et à des installations sanitaires est un droit de l’homme, indispensable à la pleine jouissance du droit à la vie ». L’objectif n’étant que partiellement atteint car, même si l’on peut se réjouir que les Objectifs du développement durable, adoptés en septembre 2015 par l’Assemblée générale des Nations unies, offrent aujourd’hui à l’eau une place à part entière au sein de l’agenda de développement, il n’en reste que nous voyons bien qui doivent être les bénéficiaires de ce droit, les débiteurs eux ne sont toujours pas qualifiés. Il reste beaucoup à faire, à promouvoir, à expliquer, pour que la communauté internationale et les Etats prennent toute la mesure de cet objectif fondamental ; qu’ils s’engagent avec l’aide de forces vives de nos nations qui attendent que leurs droits soient respectés. Il y a urgence à agir fortement en s’appropriant du cadre de consommation de l’eau commercialisée par les producteurs privés. Car si ces donneurs privés d’accès à l’eau captent irrégulièrement l’eau à travers leurs installations, leur rôle, lui, est vital, très indispensable et malheureusement très inéluctable vu que l’eau n’est pas nécessaire à la vie elle est la vie.  

L’urgence des oubliés des services publics, la question du Droit à l’eau

Il convient donc d’avoir raison gardée une lecture un peu plus hétéroclite à mi-chemin entre monopole et intervention des producteurs privés d’eau, le tout en vue d’assurer à tous l’accès à l’eau potable. Loin de constituer un discours de sourds visant à enfermer le monopoleur dans un certain concept d’apocalypse messianique, il convient plutôt d’accueillir la reprise du contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les réseaux privés d’accès à l’eau de complémentaire, qui accélère la cadence des politiques publiques relatives au développement de ce service de base car ce sont des millions de personnes au Togo et partout ailleurs qui ont besoin de ce service essentiel et auxquelles a été apporté l’espoir d’en bénéficier enfin. En France il y a un siècle, comme l’a raconté Marcel Pagnol, dans un village comme celui des Jean de Florette et Manon, la vie était étroitement liée à l’eau. De tout temps, l’eau a eu une importance majeure pour l’humanité. Les villes se sont créées autour de points d’eau. En particulier, la dynamique rapide de développement de nombreuses villes exige que ces services essentiels progressent vite, plus vite que le développement urbain, étant entendu que généralement les populations s’installent en premier avant même l’arrivée du service public de distribution d’eau, l’accès à l’eau potable se dégrade. D’où l’enjeu de rapidité d’actions est crucial en Afrique. Proclamé et adopté au titre des Objectifs du développement durable (ODD) par l’Assemblée générale des Nations unies, le droit à l’eau potable est un droit fondamental de tout être humain. Ce droit international inclut 6 critères : l’eau doit être potable, disponible, en quantité suffisante, accessible, acceptable par les populations, et vendue à un prix abordable. En effet, la reconnaissance du droit n’est qu’une étape. Encore faut-il que des politiques publiques soient menées pour progressivement en faire bénéficier tous les ayants droit. C’est le cas de programme des ODD (appelé aussi « Agenda 2030 »). D’une part, la cible ODD 6.1 dédiée à l’eau potable vise à « faire en sorte d’assurer d’ici à 2030 un accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable ». D’autre part, un nouvel indicateur statistique d’accès à l’eau, dénommé « accès à l’eau potable géré en toute sécurité » a été adopté pour mesurer les progrès vers cet objectif-cible. Et cet indicateur remplace très utilement l’indicateur insuffisant des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en intégrant de nouveaux paramètres comme la non-contamination de l’eau potable. Au total, ces paramètres concourent à 4 des 6 dimensions du droit à l’eau potable. Cet indicateur garantit l’absence de contamination fécale (potabilité), l’accessibilité de l’eau au domicile ou à proximité immédiate (accessibilité), en quantité suffisante et tous les jours (disponibilité). Satisfaire cet indicateur ne signifie pas totalement assurer le droit de l’homme mais c’est un progrès très significatif dans cette direction. Selon cet indicateur – dont il faut prendre le résultat avec précaution car seuls 96 pays (35 % de la population mondiale) ont pu faire l’objet de mesures depuis son adoption – 2,1 milliards de personnes n’ont pas accès à une eau « gérée en toute sécurité ». Si on ajoute les critères de prix et d’acceptabilité par les populations en exigeant une potabilité conforme aux normes OMS et un service sans interruption, ce sont certainement près de 4 milliards d’individus dont le droit à l’eau potable n’est pas respecté. L’atteinte en 2030 d’un accès de tous à l’eau potable gérée en toute sécurité sera une étape majeure vers la satisfaction générale du droit de l’homme. L’enjeu du droit à l’eau potable s’est aujourd’hui déplacé : il ne s’agit plus tant d’affirmer le principe d’un droit désormais peu contesté que de réfléchir à sa mise en œuvre effective – passer d’un droit formel à un droit réel qui doit aller au-delà d’une reconnaissance officielle. Il s’agit maintenant de proposer des solutions pratiques pour rendre ce droit effectif. En effet, le droit à l’eau pose de réels problèmes de mise en œuvre. Du coup l’arrêté interministériel intervenu en date du 1er décembre 2020 en ce qui concerne la reprise du contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les producteurs privés sur l’ensemble du territoire national togolais n’est rien d’autre qu’une mesure stratégique visant à corriger les imperfections du marché de l’eau.A mi-chemin de l’Etat et de l’entreprise, au carrefour du marché et des choix de société, l’industrie de l’eau est en effet la plus publique des industries, la plus industrielle des administrations. Elle est une cible privilégiée de deux mouvements de fond de la société contemporaine : le libéralisme économique et l’écologie.

L’élimination de la fraude liée au statut de foreur professionnel dans l’approvisionnement en eau potable

Il apparaît que, malgré les mesures institutionnelles adoptées par le gestionnaire du service public de distribution d’eau, les nappes aquifères qu’il utilise connaît une intrusion saline d’après le rapport de l’ONU-Habitat de décembre 2017. Et cela lui cause une perte économique énorme. Les raisons d’une telle intrusion ne sont pas sans lien avec les nombreuses activités humaines au quotidien. Pour comprendre le phénomène, nous nous inspirons des trois catégories d’activités économiques, développées par Joan Martinez-Alier et ses collègues  dans le but de systématiser l’étude de leurs impacts socio-environnementaux. Pour ces auteurs, la notion de « métabolisme social du capitalisme » renvoie aux activités liées à l’extraction (de matières premières, d’eau, de terres, etc.), liées à la transformation (infrastructures productives, énergétiques ou de transport) et liées aux déchets (solides, liquides, gazeux). Or, les conflits ont lieu tout au long de cette chaîne de production. Il est vrai que dans le cadre de cet article, c’est plutôt l’impact sur la qualité de l’eau de l’inobservation du statut de foreur professionnel qui nous concerne. En effet, contrairement à la volonté initiale visant à permettre au consommateur de disposer d’eau potable, à partir du moment où l’action de ce prestataire clé s’effectue en inobservation des plans normatifs et institutionnels mis en place par les pouvoirs publics et le gestionnaire, il est fort raisonnable que l’on s’interroge sur une possible connexité d’une telle intervention avec les pollutions d’intrusion saline des nappes aquifères exploitées par le gestionnaire. Car la cause, elle, est là et bien là, une cause qui consiste à défendre la valeur prioritaire de la disponibilité de l’eau dans le temps et dans l’espace, là où elle est demandée, là où elle est nécessaire. Il y a le débat : défendre la valeur prioritaire de la disponibilité de l’eau ne procure pas systématiquement le droit à n’importe qui de se lancer dans l’entreprise de foration de la nappe aquifère qu’il soit muni ou non d’un tubage et de crépines. Un débat naturel sur les moyens, un débat que l’on voudrait d’essence démocratique, sans naïveté, ni cynisme. Car il y a nécessité de débattre pour déterminer principes et objectifs, qu’ils soient à l’échelle de la planète toute entière, ou à celle de la plus petite communauté d’hommes au fond d’une improbable région perdue au bout du monde fut-il le Togo. Albert Camus disait : « Il faut une part de réalisme à toute morale … et une part de morale à tout réalisme ». Ainsi, lorsque l’activité de foreur professionnel est soumise à contrôle technique étroit des pouvoirs publics à coup sûr cela participe davantage à la protection du consommateur de l’eau, et c’est un acte à la fois moral et réaliste. Le droit de l’environnement est souvent perçu comme un droit « contre », ce qui véhicule une image négative de confrontation, de heurts, d’obstacles et pire, une vision datée du temps où l’environnement est un droit pour la défense de cette valeur. L’environnement étant désormais reconnu comme telle, le droit de l’environnement est un droit pour la défense de cette valeur. L’enjeu est commun, il s’agit toujours de faire en sorte que l’environnement soit et demeure propice à la vie, et en ce sens à la biodiversité, dont l’homme fait partie. Loin pour l’arrêté du ministre togolais chargé de l’eau pris en date du 1er décembre 2020 d’interdire l’alternative que consiste le recours des populations au foreur professionnel en vue d’accéder à la source d’eau, ce qui est en cause ici, c’est plutôt l’intervention d’un certain nombre de foreurs dépourvus de licence et de qualification pour une telle mission. Pour cause, il faut bien le souligner, la situation d’intrusion saline constatée et de pollutions autres engendrées est en principe défavorable pour l’Etat qui,  en confiant au gestionnaire, par délégation de service public, l’exploitation et la gestion de ce service public essentiel dispose d’un droit de contrôle. Ainsi, le mutisme de l’Etat face à de tels manquements lui sera reproché. En plus, ces montages financiers (pertes économiques énormes ci-haut mentionnées) peuvent en effet in fine s’avérer plus coûteux pour la collectivité qui reste toujours garante, sur des équipements de grande taille, des risques initialement pris par cette corporation d’investisseurs privés indélicats que constituent ces foreurs non professionnels. Sans occulter la sous-traitance d’emploi de mineurs et le fait que ceux-ci se la coulent douce très loin du contrôle fiscal étatique (…). Il est d’ailleurs, souvent, très difficile d’avoir accès aux informations concernant les projets, l’étude d’impact ou encore leur financement. De même, la diversité de la planification environnementale s’exprime d’abord au niveau de la dénomination des outils de planification. Inversement, vu que l’intervention des foreurs non professionnels se fait en marge de tout cadre juridique prédéfini, il est à rechigner bien d’assauts néfastes sur la qualité de l’eau qui est ainsi mise à la disposition du consommateur. C’est pour cette raison qu’il est indispensable qu’une telle intervention doive impérativement s’inscrire dans une logique conforme à l’existant. Mieux, pour illustrer la structure logique de ce modèle, on peut partir de l’approche de la « tragédie des biens communs » : Garrett Hardin demande au lecteur de se représenter un pâturage « en accès libre ». Il examine alors la structure de cette situation du point de vue d’un éleveur rationnel. Chaque éleveur retire un bénéfice direct de ses animaux et supporte des coûts différés de la détérioration du bien commun causée par le surpâturage de son troupeau et des autres animaux. Chaque éleveur est incité à ajouter de plus en plus d’animaux car, s’il perçoit la totalité du bénéfice direct de ses propres bêtes, il ne supporte qu’une part des coûts engendrés par le surpâturage. Hardin conclut : « C’est là que réside la tragédie. Chaque homme est enfermé dans un système qui le contraint à augmenter les effectifs de son troupeau de manière illimitée – dans un monde qui est limité. La ruine est la destination vers laquelle tous les hommes se ruent, chacun poursuivant son meilleur intérêt dans une société qui croit en la liberté des biens communs ». John H. Dales dans un autre classique notait au même moment le problème complexe lié aux ressources « possédées en commun parce qu’il n’existe pas d’alternative ». Les analyses traditionnelles de la théorie économique des ressources concluent que, lorsqu’un certain nombre d’utilisateurs ont accès à des ressources de biens communs, le total des unités de ressource soustraites à la ressource sera supérieur au niveau économique optimal de prélèvement. On ne peut, si l’on prétend agir dans un but avoué de préservation de la ressource en eau et du consommateur, rester sans dénonciation de cette intervention hasardeuse du foreur non professionnel qui ouvre dangereusement la voie à la dégradation de la qualité de l’eau. Ces points de captage d’eau portés par des foreurs non qualifiés mis en cause ici présentent des études d’impacts environnementaux minimalistes, réduisant ou simplement ignorant de nombreux impacts que ces projets vont engendrer sur leur territoire d’implantation et donc que les habitants locaux devront dénoncer en développant des contre-expertises. L’homme, qui prétendait maîtriser la nature, va devoir composer avec elle, sous peine de voir s’écrouler une bonne partie de ce qu’il a construit car, à l’évidence, pour ce qui concerne le District Autonome du Grand Lomé par exemple, jusqu’à naguère, elle est alimentée en eau potable par 27 forages percés dans 3 nappes aquifères différentes (Maestrichtien, Continental terminal et Paleocene) acquis au prix d’innombrables sacrifices de la collectivité. Ce secteur se retrouve aujourd’hui chamboulé par la ghettoïsation des foreurs non professionnels : les nappes utilisées par le gestionnaire, nos modes de vie, nos modes de partage et les sacrosaints principes de la croissance dont les termes « quantitatifs et qualitatifs » sont à réinventer. Si on en croit le dernier rapport du GIEC publié fin 2018, le temps nous est malheureusement compté pour repenser nos rapport à l’approvisionnement en eau, inventer un nouveau modèle viable et durable pour l’ensemble de l’humanité, et sauver notre maison commune « eau » d’un emballement climatique aux conséquences catastrophiques. En effet, notre planète maltraitée ne pourra plus durablement tolérer des modes de production et de consommation aussi peu respectueux de ses équilibres comme ceux à l’origine desquels se trouvent les foreurs non professionnels. A partir de ce moment, il devient une préoccupation pour les pouvoirs publics en charge de ce secteur de mettre en œuvre des institutions opérationnelles qui pourront fonctionner de manière efficiente en vue d’améliorer nettement l’état physique des nappes. Etant donné l’importance de comprendre comment les institutions aident les utilisateurs à faire face aux problèmes de ressources communes, et vu l’existence d’une riche documentation théorique sur ces problèmes, il a semblé important d’utiliser ces études de cas en tant que base empirique pour en apprendre davantage sur l’influence des institutions sur les comportements et résultats dans diverses configurations.

 

 

L’Autorité doit exécuter son obligation d’information

Ainsi, ceux qui sont demandeurs de l’exploitation du domaine public de l’eau peuvent en jouir en respectant les régimes suivants prévus par l’autorité, c’est-à-dire tout détenteur du pouvoir tant à l’échelle nationale que locale : le régime de l’utilisation libre, le régime de la déclaration, le régime de l’autorisation et celui de la concession. En effet, on trouve au fondement du cadre juridique réglementaire des plans, des schémas (schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux), des zones (zone d’érosion, zone de protection écologique…) ou des périmètres (périmètre de protection autour des points de captage d’eau, des réserves naturelles, périmètre de haut risque…), des documents, des stratégies (stratégie nationale d’hygiène et assainissement, stratégie nationale pour la mer et le littoral, stratégie de gestion des risques d’inondation…), des programmes (« Programme eau et assainissement » lancé en août 2019 à Lomé, le lancement par la Cellule présidentielle d’exécution et de suivi (CPES) a annoncé le 12 décembre 2020, le lancement des travaux de construction des ouvrages d’eau et d’assainissement dans trois régions du Togo : Centrale, Kara et Savanes, Programme national d’action contre la pollution des milieux aquatiques par certaines substances dangereuses) ou encore des directives (directive paysagère, d’aménagement des forêts domaniales,…). A ces premiers éléments de complexité (multitude et diversité de nature) des outils de planification, s’ajoute celui, tout aussi redoutable, de leurs relations, variables (compatibilité ou prise en compte). C’est pourquoi la concertation et la coopération deviennent obligatoires entre les pouvoirs publics et les demandeurs d’installations de captage d’eau. Ainsi, en dehors de l’utilisation libre, qui peut être exercée sans déclaration, autorisation ou concession, des arrêtés du ministre chargé de l’Eau déterminent les modalités de déclaration, d’enregistrement et d’autorisation des ouvrages notamment la réalisation de travaux de captage des eaux souterraines équipés de moyens d’exhaure ; la réalisation de puisards et puits traditionnels à usage domestique prélevant de l’eau de la nappe phréatique ne dépassant pas les seuils fixés par ledit arrêté ; les utilisations des eaux de surface pratiquées au moyen d’ouvrages et installations permanents susceptibles de présenter des dangers pour la santé et la sécurité publique, de modifier substantiellement le niveau, le mode d’écoulement ou le régime des eaux, et de porter atteinte à la qualité de l’eau ; les activités de recherche des eaux souterraines ; le captage d’eau souterraine par forage, galerie drainante, canalisation ou par tout autre dispositif équipé d’un moyen d’exhaure ; l’équipement des ouvrages de captage d’eau souterraine existants en moyen d’exhaure ; l’exploitation de tout forage artésien ; l’implantation de tout ouvrage de prévention des effets nuisibles de l’eau ; toute occupation du domaine public de l’eau par des dépôts, plantations ou cultures, de nature à gêner l’écoulement des eaux ou leur qualité ; le curage, l’approfondissement, l’élargissement, le redressement et la régularisation des cours d’eau, temporaires ou permanents ; l’extraction des pierres, du sable et du gravier du lit et des berges des cours d’eau, des lacs et des canaux. Voilà qu’au mépris de ce cadre juridique prédéfini par les pouvoirs publics, les producteurs privés, enclins à la maximisation de leurs profits individuels opèrent en toute impunité au grand-dame de la dégradation des sources d’eau. Il arrive, ainsi, que le législateur affronte le problème des écarts d’information entre celui qui possède l’information et celui qui désire la recevoir, en rehaussant le seuil des obligations d’information, en les affinant, en les multipliant, au point d’arriver à imposer des obligations d’information même à des sujets qui pourraient être privés de leurs données et qui sont obligés de récupérer ces éléments d’information pour pouvoir les transmettre (il suffit de se rappeler ce qui se passe dans le secteur des systèmes d’étiquetage liés à la traçabilité du produit). Ce dernier cas, que l’on aime à situer dans le domaine des autres situations de réaction au problème des « asymétries » de l’information, présente des aspects tout à fait particuliers du moment où les informations sont prises en charge par des sujets qui ne les possèdent pas mais qui se trouvent à la meilleure place pour pouvoir les repérer. En tout état de cause, le récent arrêté ministériel du ministre en charge de l’eau portant sur la reprise du contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée au Togo par les producteurs privés ne satisfera aux fins en vue desquelles il vient d’être pris qu’au prix d’un sursaut d’orgueil grâce à une appropriation individuelle et collective de tous, qui passe par la responsabilisation de tous les débiteurs du droit à l’eau. Ceci dit, cet arrêté n’est qu’un catalyseur, et il est donc urgent de comprendre que cet arrêté du ministre chargé de l’eau, vise à responsabiliser davantage le gestionnaire, les donneurs d’accès privés à l’eau, l’ensemble des décideurs, les acteurs de la société et les citoyens – consommateurs, les syndicats et les idéologies économiques, à accélérer les changements pour atteindre les enjeux fixés par la communauté internationale.

La déclinaison du contrôle dans la sophistication de la qualité de l’eau

Toute cette dialectique entre suspension/reprise du contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les réseaux privés d’exploitation d’eau et urgence d’assurer un service public essentiel de distribution d’eau potable de qualité, efficace et innovant à tous les citoyens-usagers, fut-il soumis, comme les autres activités économiques, à la loi de la concurrence et du marché, ne vise qu’à la satisfaction du consommateur de l’eau. D’une part l’intervention des pouvoirs publics dans le contrôle d’agrément et de la qualité de l’eau commercialisée par les producteurs privés conduit à placer l’industrie de l’eau en dehors des normes de l’économie de marché en raison de sa spécificité durable. D’autre part, il faut bien avouer qu’il y a une exception hydraulique qui est justifiée par l’insuffisance du taux de desserte en eau potable et également le fait que les installations de production d’eau potable sont des investissements lourds et à cycle long. Comme il arrive souvent, c’est l’histoire qui donne son sens au présent et qui peut éclairer l’avenir. Quoiqu’il en soit, entre monopole et concurrence, l’équilibre n’est pas aisé à tracer. Il faut, pour juger objectivement, mesurer les résultats, comparer les expériences, peser les arguments, replacer les débats en perspective, prendre en compte toutes les dimensions économiques, sociales, environnementales, institutionnelles : l’analyse des faits doit commander aux idéologies. En tout état de cause, les drames telle l’intrusion saline dans la nappe phréatique exploitée par le gestionnaire comme en atteste d’ailleurs le rapport de l’ONU-Habitat de décembre 2017 et bien d’autres instruments juridiques nationaux qu’internationaux en passant notamment par les concentrations excessives du pouvoir économique, les profits des groupes financiers, les inégalités de traitement, l’absence de discipline et d’égalité des tarifs de l’eau rencontrés de manière locale en disent long. Cependant, en dépit de la diversité des formes d’organisation et de régulation de l’économie, concernant le service public de distribution d’eau potable, cette diversité ne doit pas brouiller le résultat escompté à savoir la sophistication de la qualité de l’eau. D’abord, en tant que bien commun de la nation toute entière, l’eau ne saurait en aucun cas faire l’objet d’une individualisation. L’Etat n’a pas vocation à conditionner les droits des individus puisque, quel que soit le service public, son action a pour destinataire un consommateur. Que l’activité du service public porte sur des prestations matérielles qui peuvent faire ou non l’objet d’individualisation notamment la fourniture d’eau potable à tous les citoyens – ou des prestations normatives comme en l’espèce l’arrêté du ministre togolais chargé de l’eau en date du 1er décembre 2020, le résultat visé reste la mutation de l’usager en consommateur afin de lui permettre de jouer son rôle d’acteur de l’économie sans préjudice lors de ses transactions.

Nakodjoua KOLANI, Doctorant en Droit Privé au Centre de droit des Affaires, Université de Lomé (Togo)

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