“Je n’ai jamais imaginé qu’il irait aussi loin” confie Dame Ablavi, la quarantaine, portefaix au grand marché de Lomé, à son grand frère Koffigan. Elle s’est rendue chez ce dernier tôt le matin du 28 janvier 2024. On pouvait déjà constater le désarroi de la jeune Dame, visage renfrogné, les larmes aux yeux, la voix à peine audible. Dame Ablavi venait d’apprendre à travers ses amies, la mauvaise nouvelle de son fils unique Agbessi, celle de son arrestation par les forces de défense et de sécurité (FDS) au lendemain d’une attaque terroriste dans le Kpendjal, nord-Togo. Jusque-là, aucune information des services de sécurité sur la présence de jeunes togolais dans les rangs de terroristes qui venaient commettre des attaques n’a été signalée. Agbessi n’a jamais été fiché non plus par les renseignements du pays. « (…). Si on ne fait rien pour l’aider, je vais me suicider », s’écria-t-elle en larmes.
« C’est vrai que depuis ses 7 ans, il ne restait plus avec moi au marché. Il était souvent avec les enfants qui nettoient les pare-brises des véhicules et les motos. Et des fois tu le vois rentrer avec de l’argent. Selon moi, il commençait à gagner un peu de revenus pour m’aider dans le ménage. Mais son comportement a commencé à attirer l’attention de l’entourage, qui s’est plaint à plusieurs reprises. Malgré mes tentatives pour le ramener à la raison, Agbessi a refusé de m’écouter. Je ne sais pas si c’est parce que je suis une femme et que je n’ai pas les moyens pour subvenir à ses besoins mais il n’a pas voulu m’écouter », s’écria-t-elle en larmes.
Comment en est-il arrivé là ?
Des jeunes comme “Agbessi”, il en existe plusieurs. Ils rallient par manipulation, insouciance, naïveté ou vengeance, les rangs des insurgés communément désignés “terroristes” ou “rebelles” et dont les agissements portent atteintes non seulement à leurs cibles mais également aux libertés individuelles des populations. Ici, la maman d’Agbessi reconnaît avoir abandonné son fils dans la rue : “C’est vrai que depuis ses sept ans, il ne restait plus avec moi au grand marché. Des gens m’ont dit qu’ils le voyaient souvent avec les enfants qui nettoient les motos et les pare-brises des véhicules au feu rouge de Dekon. Pour moi, il commençait à gagner un peu de revenus pour m’aider dans le ménage.” À qui la faute ?
Comme Agbessi, de nombreux enfants se retrouvent dans des situations pareilles. Une des causes de la résurgence du phénomène de rébellion dont le nombre des adeptes ne fait que s’accroître, parlant des enfants et jeunes.
La tendance récente du terrorisme mondial est le nombre élevé d’enfants radicalisés à la violence, recrutés et impliqués dans des activités terroristes.
Selon les chiffres de 2020 fournis par les programmes d’Aide et de Développement destinés aux enfants du Monde, on estime à près de 7 000 le nombre d’enfants vivant dans les rues au Togo. Une situation que Félix Kokou AKLAVON, expert en gouvernance et sécurité, explique en se référant à la stratégie, cette manière qui donne force aux recruteurs d’entraîner facilement leurs cibles dans le terrorisme.
« Les enfants de rue constituent un problème de société aujourd’hui. Lors d’une guerre classique, ils sont soumis à des réglementations au niveau international qui les protègent. Cependant, les groupes armés, les groupes islamistes et les terroristes ne tiennent pas compte de ces engagements internationaux. Ils considèrent les enfants comme des recrues potentielles pour investir dans des combats ou des activités de trafic, que ce soit dans leur pays ou à l’étranger », indique M. Aklavon.
Pour l’expert, le recrutement d’enfants sert les intérêts maîtrisables des groupes terroristes, les utilisant dans des combats ou des activités de trafic. Il souligne que les terroristes peuvent venir à Lomé, recruter en proposant des sommes importantes. « Ces enfants peuvent donc être touchés par le terrorisme de différentes manières : en tant que victimes, témoins ou délinquants », a ajouté M. AKLAVON.
Généralement, lorsque ces enfants se retrouvent à l’étranger, leur violence est multipliée par deux car ils ne se sentent pas confrontés à leurs parents. C’est un phénomène grave qui soulève des questions sur la prolifération des enfants dans les rues au Togo.
« Vous savez que ces enfants sont parfois amenés de l’extérieur, et l’argent qu’ils gagnent peut également alimenter le terrorisme dans d’autres pays. Parmi ces enfants, on trouve des enfants sahéliens. Chacun de ces enfants paie quelque chose à son tuteur à la fin de la journée pour ce qu’il a gagné dans la rue. Il est donc clair que tout le processus de radicalisation est à leur portée. Ce sont des enfants qu’on peut recruter par internet ou par des personnes interposées qui leur proposent de l’argent pour les enrôler », détaille l’expert en gouvernance.
Une tendance mondiale préoccupante
L’une des tendances récentes du terrorisme mondial est le nombre élevé d’enfants radicalisés à la violence, recrutés et impliqués dans des activités terroristes. Initialement des enfants de rue, comme on en voit à Lomé, souvent extrêmement violents, sont de plus en plus recrutés par des groupes terroristes au sein ou à l’extérieur de leur pays.
Selon lui, ils peuvent être recrutés au Togo pour être utilisés au Mali, tout comme ils peuvent l’être au Niger pour opérer au Burkina Faso. Tous les enfants sans abri finissent par dormir à la belle étoile, devenant ainsi une béquille potentielle pour l’extrémisme violent, devenu viral dans la sous-région.
Le ministère des affaires sociales interpelé
Face à la réalité dont font face des enfants en situation de rue au Togo, le ministère des affaires sociales n’est pas resté indifférent. Cependant, il est indéniable que des efforts supplémentaires soient nécessaires pour trouver une solution durable à cette problématique.
Solutions proposées
Il est crucial que l’Etat, les ONG et les partenaires techniques et financiers développent la notion de parent responsable, car ces enfants sont généralement issus de familles togolaises. La police devrait commencer par enregistrer ces enfants dans des fichiers, remonter leur lignée parentale pour déterminer leur famille d’origine. Certains enfants se retrouvent dans la rue parce que leurs parents sont en prison, les laissant à eux-mêmes.
Les partenaires et institutions internationales du Togo, tels que Plan International Togo, (UNICEF) Fonds des Nations Unies pour l’Enfance, l’organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), et d’autres ONG, pourraient contribuer à la sécurité de ces enfants en initiant des programmes d’accompagnement, visant à leur offrir des perspectives d’avenir.
Il est aussi nécessaire de renforcer la brigade pour mineurs, de prendre systématiquement en charge les enfants en situation de rue, et de créer un centre de transit pour étudier leur cas. La mise en place d’une police dédiée aux enfants permettrait de repérer les enfants errants et, parfois, de prendre des mesures à l’encontre des familles qui les laissent dans la rue, car certains de ces enfants ont des parents vivants et actifs.
En raison du phénomène grandissant des enfants de la rue, le recrutement et l’exploitation de ceux-ci sont plus que possibles. Ces enfants, évoluant dans un environnement sous influence extrémiste, sont particulièrement exposés au risque de radicalisation. Leur développement dans un tissu social extrémiste et le manque d’autres types de relations les rendent particulièrement vulnérables.
Le phénomène des enfants de rue est une réalité à travers les pays africains particulièrement au Togo. Des efforts sont faits et continuent de l’être. Cependant, le phénomène prend de l’ampleur et interpelle les dirigeants et les sociétés dans leur ensemble. La nécessité de s’attaquer à ce problème de manière coordonnée a été reconnue au niveau international comme une priorité. Dans cette dynamique, il incombe aux États de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir et
combattre le terrorisme. C’est également leur responsabilité première de protéger les enfants en situation de rue et de les empêcher de rejoindre ces groupes terroristes devenus une véritable menace pour la paix sociale.
Reportage réalisé à l’atelier sur « Education aux médias en communauté et cohésion sociale »
Ont pris part au reportage, Hélène MARTELOT (Africa Rdv) ; Justine TCHODIE (Freelance) ; Rachel DOUBIDJI (Togotopnews) ; Edmond WAKLATSI (NouvelAngle); Marc Yaovi Essowoè. GNAZOU (Togonyigba) ; Caleb K. AKPONOU (Gapola); Yao Linus ATISSO (TOGOTIMES); Narcisse Prince AGBODJAN (L’Interview); Hector NAMMANGUE (Vert-togo); Jean-Pierre BAWELA B (Macite); Amidatou YERIMA(L’Œil d’Afrique) et Réné DOKOU (Impartial-actu).